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lundi 26 juillet 2010

Mères et filles dans Contours du jour qui vient

Sanséviéria a invité l'auteure camerounaise, Léonora MIANO, en novembre.
La rencontre avec l'écrivain a commencé par un éclairage de Contours du jour qui vient, Prix Goncourt des Lycéens en 2006, par Marie-Nadiège YERRO, psychanalyste.

Mère (s) et fille (s) dans
Contours du jour qui vient, édition Plon

« Ce que vous devez faire pour épouser les contours du jour qui vient , c'est vous souvenir de ce que vous êtes, le célébrer et l'inscrire dans la durée » p260 (Coda:licence)

Bonjour, je remercie l'association Sansevieria de m'avoir invité à vous faire part de ma réflexion à partir de la lecture du roman de Mme Léonora MIANO, Contours du jour qui vient.

C'est à partir de ce qui se joue du relationnel mère -fille que j'ai tenté de tirer quelques points de réflexion que je vous remercie de partager avec moi.
En effet, comment à travers le discours de l'héroïne Musango, pénétre t-on la position subjective d'une fillette en train d'élaborer sa construction de femme?
Musango est une fillette qui jusqu'à ses 9 ans vit entre sa mère et son père. Au décès de ce dernier elle est chassée du domicile par la mère. La fillette est donc à la rue rattrapée par une errance à partir de laquelle elle va tenter de comprendre.

Que nous dit-elle de ses parents? Comment nous permet-elle d'approcher les fonctions parentales à l'origine de sa condition?

La fonction paternelle
Musango, notre héroïne est chérie par son père : « Quand à moi, j'ai eu tous ses égards. (....) Il n'a jamais oublié de m'acheter de nouveaux vêtements et j'ai toujours eu plus de jouets que je n'en désirais. Il me lisait les livres qu'il aimait et me faisait écouter du jazz vocal, sa musique préférée. Je n'ai subi aucune contrainte venant de lui. » 1
Ce père introduit sa fille à la dimension du désir subjectif, c'est à dire qu'il lui donne la possibilité d'élaborer le manque , à partir de la transmission de son manque à lui. Elle ne nous présente pas ce père comme imbu de lui même, mais en questionnement . Il a certes des principes, qui ont comme fonction de contenir et de poser un cadre, mais c'est beaucoup à partir de ses manques qu'il enseigne à sa fille.
Ce qui nous permet de dégager une des fonctionnalité de la position paternelle qui est d'être stable , tranquille si l'on peut dire car assurée symboliquement dans la mesure où elle ne s'inscrit pas dans l'immédiateté, dans la continuité des corps, comme cela l'est dans la relation à la mère qui très souvent veut faire fi de la coupure physique du cordon ombilical.
L'accès à la fonction paternelle nécessite le passage par la parole, par une nomination qui entérine la reconnaissance du sujet, de l'enfant et l'inscrit alors dans une filiation identitaire.
Le père nomme sa fille: Musango qui signifie , paix, car l'arrivée de cette enfant est pour lui un bon présage , une promesse de bonheur annoncé.
D'ailleurs sa grand-mère maternelle lui dira que son « ( ...) papa aura au moins fait quelquechose de bien dans sa vie, en ...(lui) choisissant ce nom-là. » et la grand-mère maternelle de préciser que « Nommer un être , c'est le définir, lui indiquer une direction. »2
Mais son père meurt alors qu'elle n'est encore qu'une fillette de 9 ans. La fillette se retrouve donc confrontée au manque réel du père. Pour la psychanalyste , on ne peut pas ne pas entendre en même temps que ce réel de la vie fait irruption, le vascillement de la position phallique de la petite fille installée dans le complexe oedipien. « La fillette qui veut se considérer comme celle que son père aime le plus, subit inévitablement un jour ou l'autre une dure punition de la part de son père et se voit chasser de tous les paradis. »3
Elle avance donc avec ce qu'elle est, avec ce qu'elle sait et aussi avec ce qu'elle ne sait pas , elle avance avec ses doutes: « Je ne crois pas qu'il ait goûté au bonheur grâce à moi, mais il me semble lui avoir fait approcher l'idée de la paternité. »4 nous dit-elle de son père en début de roman et en fin de roman,« La lumière n'était qu'un mot que je lisais dans les livres que m'offrait papa, dans les dictionnaires que j'apprenais par coeur pour qu'il puisse dire à ses amis combien sa fille était intelligente. Il me voulait brillante pour que je l'illumine. A travers mes prouesses mentales et mon sens de la répartie, c'était un peu son esprit qu'il trouvait admirable. Rien de cela ne pouvait être à moi.» 5
Mais tout au long de sa quête, Musango nous montre qu'elle reste forte de l'objectif vers lequel elle tend avec une présence paternelle inscrite dans sa subjectivité, comme des gardes du corps, comme des gardes-fous.
Une présence paternelle qui lui sert de contenance psychique. Par exemple, lorsqu'elle est avec son institutrice retrouvée, à la recherche de sa mère, dans ce lieu de culte nommé: « La porte ouverte du Paradis », sa capacité d'analyse critique, lui permet de se dégager de l'emprise imaginaire induite par la réalité de la situation, la mise en scène si bien orchestrée, dit-elle.Car elle peut prendre appui sur un savoir transmis par le père: « Je pense à papa, en regardant ce spectacle parfaitement mis en scène. C'est lui qui m'a enseigné les codes de l'interprétation du jazz vocal. Il me prenait sur ses genoux pendant qu'il écoutait les grands chanteurs , et m'expliquait... » 6
Musango , après le décès de son père, est donc seule face à sa mère.

La fonction maternelle
Ou comment cette mère reste dans l'incapacité d'instaurer une relation d'altérité entre elle et sa fille. Il n'y a pas d'espace tiers, pas d'espace d'élaboration entre elles. «La mère comme une altérité vient de la capacité maternante à n'être que suffisament bonne nous dit D. Winnicott, , c'est à dire à son talent à décevoir, sans maltraiter, les besoins de la sphère pulsionnelle d'autoconservation. C'est une mère qui se situe entre l'omnipotence sans se réduire à la figure effrayante d'une absence sans retour. La mère est donc le résultat d'une construction psychique 7 Tant que le père est présent physiquement il soutient l'espace du père, « interposé entre elle et l'enfant s'introduit la question de la patenité » 8 , mais avec sa disparition réelle, mère et fille sont dans une relation duelle , « dans une attente sans intermédiaire qui les fait osciller de la connivence au ravage » 9
Pour Musango, dès les premières lignes du roman, nous pénétrons la douleur de la fillette qui est battue, (p15), chassée du foyer (p21), qui ne recevra pas l'hospitalité de sa grand-mère paternelle à laquelle, sans rien d'autre que sa voix pour dire et sa nudité pour témoigner elle verbalise les faits : « Grand-mère,, il faut m'aider. Maman est devenue folle. Elle a tenté de me tuer, puis elle m'a chassée. Cela fait trois jours que je n'ai rien mangé... » 10 . La grand-mère paternelle accorde le privilège d'un vêtement pour couvrir le corps nu et par là aussi la maintenir dans son humanité.
Mais pour le reste elle ne peut rien. Elle le lui dit: « Si ta mère te hait à ce point, elle seule sait pourquoi. Je ne peux rien pour toi ».11 Ce n'est donc pas là qu'elle trouvera une réponse à sa quête si ce n'est qu'il est question de haine et qu'un enfant sans un arrimage à quelque chose de l'amour maternel est sans consistance.
C'est de haine qu'il s'agit.
Nous pénétrons donc la dimension du ravage et du dommage. Tant pour la fillette que pour la mère. La mère qui dans sa folie mélancolique sur la tombe du père de Musango semble avoir un sursaut « Cette fois il semble que tu me voies. Tu me demandes d'une voix douce, baissant à terre la pelle que tu tenais encore levée: pourquoi t'être absentée si longtemps, ma fille? Ne sais-tu pas que je t'ai cherchée partout le coeur serré d'angoisse?.12
S'il y a eu de l'angoisse, c'est que il y a eu du manque. « L''enfant permet à la mère en tant que femme d'avoir accès en son fantasme à l'objet cause de son désir (...) l'enfant devient un bouchon pour la mère, un bouchon qui comble son manque », un bouchon qui lui permet d'empêcher à son manque d'émerger » 13. Telle est la place occupée par l'enfant pour la mère. Mais une place
de laquelle une fonction tierce doit rapidement lever cette obstruction tant pour la mère qui est aussi une femme que pour l'enfant qu'il faut inviter à vaciller de son immédiateté sensorielle.
Aurions-nous affaire-là à l'émergence du manque du côté de la dimension symbolique dans le registre de la loi?

Dimension qui fait que Twin, au marché lui donne à manger, à cette enfant qu'elle ne connaît pas «Tout ce que je vois , c'est qu'elle aurait pu être ma petite fille »14

Dimension qui fait que d'une seule voix, Twim la marchande et Mme Mulonga l'institutrice s'opposent à la lapidation probable de ce garçonnet qui a dérobé un poisson parce qu'il a faim.

Dimension qui permet donc de reconnaître en l'autre, non un rival, un usurpateur mais un prochain inscrit dans le champ social: « quelle espèce de femme peut laisser un enfant mourir de faim? Quel peuple sommes nous devenus...(...) méditez ces versets . Ensuite venez me dire si vous voulez voir le pilon de Tutè faire exploser la tête d 'un enfant qui pourrait être le vôtre. » 15

Musango entend-là quelque chose du manque symbolique dans lequel elle pourrait déposer son amour filial. « La mère marquée par le manque symbolique, d'être absolue devient réelle et de réelle se désigne comme « pas toute », c'est à dire pas toute pour l'enfant - elle ne le comble pas - et pas toute en jeu - elle peut rêver ailleurs. » 16

Musango s'autorise donc dans cet élan si longtemps médité: Mais « alors qu'elle lui tend les bras, la mère recule d'un pas pour hurler : Où étais-tu passée, ne sais -tu pas que je t'ai cherchée? Ce n'est pas parce que je t'ai chassée que tu pouvais te permettre de disparaître ainsi. S'il y a bien une chose au monde qui soit à moi et rien qu'à moi, c'est ta misérable vie...Tu devais attendre sur le pas de la porte , pour me supplier de te reprendre une fois ma colère apaisée ».17

Mère et fille
C'est donc bien de haine qu'il s'agit, de cette passion visant à la destruction de l'autre ravalé au statut d'objet. Car la demande de Musango fait écho à la demande de la mère à l'attention de sa propre mère: « Une fois née, elle voulait demeurer sous mes jupes, accrochée à mon pagne,... Souvent il m' a fallu la repousser. Je sais que je l'ai blessée, qu'elle avait besoin de plus d'attention, mais elles étaient nombreuses. Je ne pouvais avoir de préférence. J'ai toujours veillé à prendre le même ton , pour prononcer leur noms. Elles n'ont jamais pu me reprocher de donner plus à l'une qu'aux autres. Ewenji voulait une place à elle, être distinguée » 18
La grand-mère maternelle a tenté d'être cette mère suffisament bonne, mais Ewenji la mère de Musango n'a pu entendre ce manque que du coté du dam imaginaire de l'objet maternel réel, c'est à dire de la privation de laquelle elle ne se relève pas...
Musango par son appel, ravive ce déplaisir primordial. C'est ce que Lacan nomme la haine jalouse. Dans cette image de sa fille qui lui tend les bras, la mère se perçoit comme dépossédée de son désir de complétude d'avec sa propre mère qui souvent l'a repoussée. La mère reste donc engluée dans sa paranoïa et sa fille devient donc ce double, ce semblable, ce persécuteur, qu'il convient d'éliminer.
« Je connais par coeur ce mouvement qui te fait lever la pelle. Je sais de quel côté sauter pour esquiver le coup. »19
Musango sait.

L'émergence de Musango
Comme sujet différencié

Musango dans sa quête se dirige vers le savoir d'elle même. En effet la fillette dans sa quête que je nomme identitaire, fera tomber progressivement des constructions identificatoires imaginaires, lui donnant accès à la rencontre avec sa vérité subjective. Dans ce lieu encerclé par la brousse,20 l'identification au déchet, tombe à partir de la rencontre avec l'animal mort , celui qu'elle tue après avoir observé son cycle de vie. Elle se sait alors vivante. C'est avec cette vie retrouvée qu'elle creuse en elle l'élan sa volonté de survivre. Elle se sauve de ce lieu glauque, de ce marasme psychique dans lequel vie et mort ne sont qu'un vaste amalgame sans discernement: « le royaume des ombres »
Elle trouve en elle des gardes-fous...
De retour en ville elle aurait pu suivre les garçons et tourner le dos à cet enfer, mais « prise d'une stupide curiosité, je ne suis pas la voie qu'ont prise les garçons et qui mène pourtant vers l'extérieur,»21 non ce n'est pas l'identification masculine qui l'intéresse, elle reste la fille de son père, elle continue sa quête vers l'intérieur, sa quête intérieure. « Une jeune femme très imprégnée de culture noire américaine chante. Il faut que je la voie »22 . C'est par ce passage auditif « Papa me faisait écouter du jazz vocal, sa musique préférée.23 », qu'elle continue sa quête vers sa construction subjective : Elle pénètre ce qu'elle nomme « le royaume des morts » 24
L'identification à l'objet phallique maternel, la poupée noire, ce reste imaginaire, comme la mère l'a énoncé à l'institutrice: « Rendez-moi ma poupée noire. Personne ne voudrait une poupée noire, mais il ne me reste qu'elle. Rendez-moi ma poupée noire! » 25. Cette identification la questionne « Serais-je une poupée noire Etait-ce bien de moi que tu parlais? Une poupée.Un petit objet inanimé dont on fait ce qu'on veut..... »26
L'identification au regard maternel posé sur elle ; « Je me suis toujours vue petite, insignifiante. Ce n'était pas moi que je voyais, mais le reflet d'une autre dans tes yeux. C'était ce que tu pensais de toi même qu'ils me montraient, et je ne le savais pas. » 27
Elle peut alors se construire des vérités « Nous vivons tous avec des épines dans le corps . Il suffit de savoir comment se mouvoir pour qu'elle n'atteignent jamais un organe vital. Elles me piquent. Je ne crie pas. Je marche dans la ville, et je suis presque libre. » 28
Assise à coté de la Martiniquaise, une femme qui a vu comme elle « que nous vivions au royaume des morts » , elle pleure.et ne sait pas pourquoi. Je n'ai jamais pleuré...puisque ces pleurs semblent réels c'est que je dois exister...je ressens les choses...Pourquoi les mères n'aiment pas forcémént leurs filles? »29
Petit à petit le savoir de Musango s'enrichit :
« Si tu ne trouvais pas les mots, tu devais au moins me donner l'exemple.Tu ne m'as rien donné. Peut-être n'avais-tu rien. Je sèche mes larmes en songeant qu'il me faut remonter le courant, aller à la source de ton existence, pour trouver l'origine du mal. Je veux savoir qui tu es vraiment...' »30

Je vais reprendre les propos de ma collègue analyste de l'association dont je fais partie (Association lacanienne internationale), F. REY qui lors de ce travail à la Martinique sur le féminin, nous rappelait que : « La fille attend de sa mère une transmission qui ne vient pas. La mère ne peut pas transmettre le féminin au sens d'un phallus féminin (...) Il y a bien du coté de la mère quelque chose de l'ordre du don, don du phallus mais c'est au sens de donner ce qu'elle n'a pas ».31 « Plus rien ne me surprend des enchevêtrements, des noeuds compliqués que forme le lien qui unit les mères à leurs filles »32
Ce que nous dit Musango à la fin de sa quête, ce qu'elle a pris le temps de découvrir et de rencontrer et de comprendre pour le nommer ainsi: « Toutes ces années j'ai cru que tu ne m'avais rien donné. Ce n'était pas vrai. Tu m'as donné ce que tu as pu, et ce n'est pas sans valeur. Tu m'as indiqué sans en avoir conscience la voie à ne pas suivre, et je chéris ce savoir que je tiens de toi »33


Notes :
1 Prélude :absence p37
2 Coda: licence p 255
3 Freud in la disparition du complexe d'oedipe -1923 -
4 P 37 (Prélude : absence
5 P135 Interlude : résilience
6 Second mouvement: génération p193
7 O. Douville Qu'est-ce qu'une mère? In GRAPPE n°12 .
8 O. Douville Ibidem
9 F. Rey. Les incertitudes du féminin fort-de-france 14-15 juin 2008
10 Prélude:absence p24'
11 Ibidem
12 P270 Coda: licence
13 J-P LEBRUN commentant « Qu'est-ce qu'une fille attend de sa mère? » de Malvine Zalcherg
14 Prélude:absence p29
15 Second mouvement :génération p 223
16 O. Douville Qu'est-ce qu'une mère? In GRAPPE n°12 .
17 Coda : licence p270
18 Coda:licence p 243
19 Coda:licence p 270
20 Premier mouvement: volition p 66
21 Premier mouvement: volition p 89
22 Iibidem p 89
23 Prélude : absence p.37
24 Premier mouvement: volition p 112
25 Second mouvement : génération p 164
26 Ibidem p 165
27 Coda:licence p 268
28 Premier mouvement volition : p120
29 Ibidem p 124
30 Interlude : résilience p134-135
31 F. Rey. Les incertitudes du féminin fort-de-france 14-15 juin 2008
32 Second mouvement : génération p 174
33 Coda: licence p 275

Marie-Nadiège YERRO , Psychanalyste mnyerro@yahoo.com

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